Énergies renouvelables : les dessous d’un compromis difficile entre la France et l’Allemagne
Après des mois de lutte, la France et l’Allemagne trouvent un accord sur les objectifs européens des énergies renouvelables. Les usines françaises d’ammoniac obtiennent une dérogation.
Le déploiement des énergies renouvelables en Europe va s'accélérer de manière phénoménale. C'est du moins l'objectif très ambitieux de la directive RED III contre laquelle Emmanuel Macron luttait pour préserver le recours à l'énergie nucléaire, face à une vaste offensive allemande mais aussi espagnole. Le compromis auquel sont parvenus les diplomates, vendredi 16 juin, à Bruxelles peut inspirer un certain scepticisme : l'UE se donne pour objectif de relever à 42,5 % d'ici à 2030 la part des énergies renouvelables dans sa consommation globale.
Un effort redoublé en moins de dix ans, puisque la part actuelle est de 22 % dans toute l'Europe… Cet objectif, plus politique que réellement étayé par une étude réaliste de la faisabilité, devient contraignant juridiquement. La France militait pour 40 %. Elle s'aligne sur les prétentions les plus hautes soutenues par l'Allemagne ou l'Espagne. Ces deux États, très volontaires, pourront même pousser le curseur à 45 % si bon leur semble. Ce qui fera autant d'efforts en moins à accomplir pour les autres…
17 stades de football de panneaux solaires par jour
Pour rendre les choses plus concrètes, cela correspond au déploiement de dix-sept terrains de football de panneaux solaires… par jour ! Ou, seize éoliennes érigées sur terre et quatre en mer, par jour… Le tout devant procurer, selon cette image utilisée par Sven Giegold, le secrétaire d'État allemand à l'Action climatique, une puissance de 100 gigawatts issus du solaire et de l'éolien.
La vraie difficulté pour la France résidait dans le sous-objectif de la directive RED III concernant la décarbonation de l'industrie. Ici, l'énergie verte, c'est l'hydrogène qui se substituerait au gaz. Les Allemands refusaient de considérer comme « vert » l'hydrogène produit à partir de l'électricité d'origine nucléaire. Berlin redoute que la France, profitant de son parc nucléaire, néglige ses objectifs en matière d'énergie renouvelable, comme si les deux chantiers – extension du parc nucléaire et du parc éolien – étaient incompatibles. Or, il n'y a rien de plus faux : les équipes dédiées ne sont pas les mêmes.
Les Espagnols en embuscade
En outre, la France n'accuse aucun retard au regard de l'Allemagne. La part du renouvelable dans la consommation finale a suivi une courbe parallèle des deux côtés du Rhin. En 2021, la France se paie même le luxe d'être très légèrement devant l'Allemagne… Robert Habeck, le ministre allemand de l'Économie et du Climat, a été un peu surpris quand, lors d'une négociation, Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la Transition énergétique, lui a montré ce graphique. Certes, la France n'a pas atteint les 23 % promis (par Jean-Louis Borloo en 2007 contre l'avis de son administration), mais elle n'a pas décroché par rapport à l'Allemagne.
Pendant des mois, ce point de fixation a envenimé la relation entre Paris et Berlin. Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz s'en sont entretenus à plusieurs reprises, notamment lors d'un petit-déjeuner en marge d'un Conseil européen, le 23 mars. Les Espagnols campaient, plus discrètement, sur les positions allemandes. Pour eux, le nucléaire français est un rival de leurs propres atouts énergétiques et ils comptent bien devenir une puissance exportatrice d'hydrogène vert (issu des énergies renouvelables).
Une dérogation pour les usines d'ammoniac françaises
La présidence suédoise, au milieu de ce champ de tir, a produit une première proposition de compromis le 30 mars. Inacceptable pour la France. Les pourparlers se sont prolongés pendant encore deux mois et demi et ont finalement abouti, vendredi soir. Pour sortir de cette impasse, l'Élysée a cherché une troisième voie : ni avaler le compromis suédois sans broncher ni partir au combat la fleur au fusil. La France a un problème spécifique avec l'ammoniac, dont la synthèse pour les engrais et la chimie est issue de l'hydrogène fossile. Exiger de passer à l'hydrogène vert aurait été trop coûteux. La France a donc obtenu une dérogation au niveau européen pour les usines d'ammoniac qui seront exclues du calcul des sous-objectifs industriels. Elle pourra donc utiliser le nucléaire pour décarboner ce pan de notre industrie. En échange de quoi, Paris consent aux objectifs très ambitieux de la directive
Prochaine étape : il faut que le compromis soit validé par le Parlement européen. A priori, la majorité parlementaire devrait y être favorable. Pour que les objectifs de RED III se concrétisent, la délivrance des permis de construire des éoliennes doit être prodigieusement accélérée. La simplification de la réglementation a été engagée depuis plusieurs années. En 2018, il fallait compter entre sept et neuf ans pour qu'un projet de parc éolien aboutisse. En Allemagne, il faut compter entre trois et quatre ans, et c'est encore trop long. Les recours en justice, très nombreux, annulent en partie les efforts de simplification réglementaire.
La Commission déclinera ensuite les objectifs État par État. Agnès Pannier-Runacher compte bien, à ce moment-là, que la Commission prenne en compte les efforts de décarbonation déjà accomplis par la France. « Il n'y a aujourd'hui aucune feuille de route qui indique qu'on est collectivement capable de réaliser ces chiffres-là, soulignait-elle lors d'un entretien avec Le Point, début mai. Si on veut vraiment les atteindre, la Commission va devoir aligner les mesures d'accompagnement. » Donc affecter les fonds du plan RepowerUE.
Énergie : le gouvernement table sur une poussée des renouvelables d'ici 2030
Publié le 16 juin 2023par Anne Lenormand, Localtis avec AFP Energie
La France compte accélérer sur la production d'électricité d'origine solaire et éolienne, jusqu'ici en retard, dans son prochain projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat, indique un document de travail gouvernemental rendu public ce 14 juin.
En attendant le prochain projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat, dont le gouvernement doit présenter les grands contours début juillet, un document de travail(Lien sortant, nouvelle fenêtre) de 62 pages, intitulé "la planification écologique dans l'énergie" , produit par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) qui dépend de Matignon, et dévoilé par le Monde ce 14 juin, livre de premières pistes. Il met en rapport la réduction prévue des émissions de gaz à effet de serre de la France, les besoins énergétiques du pays, la consommation d'énergie prévue d'ici 2030, et les moyens d'atteindre ces objectifs.
Nette accélération pour le photovoltaïque et l'éolien terrestre
Dans ce cadre, au vu de la sortie progressive des énergies fossiles et de l'électrification du pays, il prévoit un "doublement du rythme annuel de développement" des capacités de production photovoltaïque, pour parvenir à une capacité de production de 128 à 160 gigawatts en 2050. Cela signifie que la production d'énergie solaire doit croître de 3,7 à 5,5 GW par an, alors que le rythme actuel est "d'environ 2 GW" par an, indique le rapport.
Même chose pour l'éolien terrestre, dont la production devra croître "jusqu'à 2,5 GW par an" après 2035, contre 1,2 GW par an actuellement. Dans son discours de référence sur l'énergie à Belfort le 10 février 2022 (voir notre article du 11 février 2022), Emmanuel Macron avait au contraire évoqué un "étalement dans le temps" des objectifs de développement de ce secteur pour ne pas heurter les opposants.
La biomasse (bois, matières et déchets agricoles pour biocarburants et biogaz...) aura son rôle, mais le projet propose des priorités d'usage (alimentation humaine et animale, puits de carbone, industries sans alternatives décarbonées...).
Du côté du nouveau nucléaire, le gouvernement vise toujours six EPR2, avec une option pour huit supplémentaires, d'ici 2050. Sur les 56 existants, "entre 0 réacteur (l'objectif) et 9 réacteurs (cas défavorables)" seront fermés avant leurs 60 ans "pour raisons de sûreté".
La sobriété plus que jamais de mise
Dans l'équation, le premier élément reste la sobriété : d'ici 2030, le gouvernement table sur une baisse de 17% de la consommation finale d'énergie du pays par rapport à celle de 2021, via notamment la baisse des énergies fossiles, la rénovation des bâtiments, les efforts sur le chauffage en hiver etc...
En matière d'hydrogène vert, le document souligne le besoin de développer la production à 10 GW d'électrolyseurs installés en 2035 contre 6,5 GW prévus en 2030, mais surtout "d'atteindre" un coût de revient "d'environ 2,5 euros par kg en moyenne" pour que le secteur reste compétitif. Le coût actuel de l'hydrogène fossile est de 2,8 euros par kilo.
Les enjeux dans les territoires
Outre l'adaptation des infrastructures pétrolières et gazières et la planification des emplois et compétences nécessaires à la nouvelle donne énergétique, le document évoque le déploiement de la stratégie dans les territoires. Il rappelle les enjeux à cette échelle - déclinaison territoriale de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), orientations des projets d'énergies renouvelables (ENR) vers les zones les plus pertinentes en concertation avec les élus locaux, planification de façade maritime, développement de la géothermie et des réseaux utilisant la chaleur fatale, suivi des usages prioritaires de la biomasse. Pour cela, une animation et une coordination sont prévues ou en cours d’organisation (établissement des comités régionaux de l’énergie (CRE) et début des travaux dès cette année, renforcement de l’animation et de l’appui national et local avec le déploiement des référents préfectoraux et le renforcement des Dreal, revue de projets trimestrielles sur les projets photovoltaïques, éolien, méthanisation, mise en place des zones d’accélération pour le développement des ENR à partir de cette année
Interdire les chaudières à gaz, le gouvernement se refuse à en mesurer les conséquences
Contraindre les 12 millions de ménages français qui se chauffent au gaz à se passer de leurs chaudières est le type même de la fausse bonne idée technocratique que veut imposer le gouvernement et la Première ministre Elisabeth Borne. L’intention n’est pas contestable: réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage. Mais la mesure devient dangereuse économiquement comme socialement si les moyens économiques et techniques pour substituer au gaz d’autres sources d’énergie n’existent pas. La France ne pourra pas installer à partir de 2026 un million de pompes à chaleur par an pour remplacer les chaudières à gaz ni produire 10 gigawatts de plus d’électricité dans une décennie pour alimenter ses pompes.
C’est le type de mesure qui permet de communiquer sur la volonté inflexible du gouvernement et de la Première ministre Elisabeth Borne d’accélérer la décarbonation de l’économie du pays. C’est aussi le type de mesure que l’Etat français multiplie depuis des années sans jamais anticiper ou même chercher à bien en mesurer les conséquences indirectes et les effets pervers. Ce qui l’oblige souvent à corriger en catastrophe et à la marge des législations et des réglementations toujours, toujours plus incompressibles et toujours plus coûteuses et inefficaces. Cela s’appelle l’impuissance publique.
La possible interdiction de toute nouvelle chaudière à gaz dès 2026 est une caricature de cette incapacité à mesurer les conséquences des décisions imposées à la population. Plus de 12 millions de ménages, pas de personnes, de ménages, se chauffent aujourd’hui avec une chaudière à gaz. Elles fonctionnent avec une énergie fossile dont la combustion émet des gaz à effet de serre et notamment du CO2.
Des possibilités de substitution limitées
Il n’y a pas de doute et de contestation sur le fait qu’il faut et qu’il faudra se passer progressivement du gaz naturel et lui substituer, pour le chauffage et la climatisation des bâtiments et des logements, des sources d’énergie décarbonées. Le problème est que mettre en place des possibilités et des moyens de substitution à l’échelle et économiquement accessibles est la condition indispensable pour se passer du gaz naturel. Sinon, cela crée de l’appauvrissement, du chaos et des colères sociales. Et le mouvement a déjà commencé. Selon le syndicat Uniclima des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques, les ventes de chaudières à gaz et à fioul ont diminué de 29% tandis que celles des pompes à chaleur air/eau ont augmenté de 30% en 2022.
La Première ministre, Élisabeth Borne, ancienne ministre de l’Ecologie, qui s’était notamment illustrée dans une croisade anti-nucléaire et avec la fermeture des réacteurs de Fessenheim, entend imposer l’interdiction de la vente de toute chaudière à gaz d’ici 2026. Tout équipement qui tomberait en panne après cette date devra être remplacée par un autre mode de chauffage. Les possibilités sont relativement limitées : un raccordement à un réseau de chaleur urbain s’il en existe un, une chaudière à bois, un chauffage électrique associant une pompe à chaleur aérothermique ou géothermique. Les pompes à chaleur hybrides mixant gaz et électricité resteraient autorisées sachant que c’est tout simplement une nécessité technique, car dans les régions froides où les températures descendent durablement sous les 5 degrés Celsius les pompes à chaleur aérothermique ont un rendement ridicule et sont incapables d’assurer un niveau de chaleur suffisant.
Recours massif à l’électricité
Cette mesure signifie avant tout le recours massif à l’électricité pour chauffer les bâtiments et les logements, sachant que la France et même l’Europe font face et vont encore faire face pendant de nombreuses années à des capacités de production électrique insuffisantes. D’ores et déjà, l’équilibre entre augmentation de la demande liée à l’accélération de la décarbonation dans les transports et l’industrie rend la situation périlleuse d’ici 2030. Et en 2035, avec la seule installation de millions de pompes à chaleur en lieu et place de chaudières à gaz, la consommation française d’électricité augmentera encore en pointe de 10 gigawatts. Cela signifie que notamment lors des périodes de consommation élevées, le recours aux centrales thermiques, fonctionnant au charbon et au gaz, sera indispensable et parfois même massif. On remplacerait ainsi en partie le gaz des chaudières, par celui des centrales…
La mesure semble tellement problématique qu’un collectif de 25 organisations venues d’horizons très divers a adressé au gouvernement une lettre ouverte dans laquelle il met en garde contre « 8 à 9 millions de pompes à chaleur supplémentaires prévues d’ici 2030 sans garantie de gestes d’isolation, et sans analyse des conséquences sur le réseau électrique, avec un risque de fraude excessif ».
Le collectif soulève quatre problèmes majeurs.
1)-Une meilleure efficacité énergétique est loin d’être garantie
Installer une pompe à chaleur ne garantit pas toujours une meilleure efficacité énergétique. C’est la conclusion d’une étude publiée en janvier 2023 par l’association militante négaWatt. « Dans les bâtiments classés F ou G — souvent anciens — l’installation de PAC ordinaires en remplacement de chaudières sans action de rénovation énergétique associée n’est pas appropriée », détaille l’étude. En cas de grands froids, une pompe à chaleur ne pourra pas fournir assez de puissance pour chauffer le logement. « Il en résultera une insuffisance de la température intérieure ne dépassant pas 14 °C par grand froid et donc un important inconfort thermique », ajoute-t-elle.
2)-L’envolée de la consommation d’électricité
L’installation massive de nouvelles pompes à chaleur — 8 à 9 millions d’appareils sont prévus d’ici 2030 — ne peut que mécaniquement augmenter la consommation électrique. Pour qu’elle soit gérable par le réseau, il faut selon les experts de RTE (le Réseau de transport d’électricité), qui depuis des années n’ont cessé de se tromper dans leurs prévisions, qu’elle soit compensée par une baisse de consommation liée à la rénovation thermique des logements et la modernisation des installations de chauffage. On peut sérieusement s’interroger sur ce scénario, sachant que les performances en matière de rénovation énergétique des bâtiments ont toujours été limités et très inférieures aux prévisions, sans parler, par exemple de l’effet rebond. « GRDF a calculé que [le changement de 12 millions de chaudières à gaz] augmentera fortement la pointe électrique en hiver et nécessitera 10 gigawatts de plus en 2035, soit l’équivalent de dix réacteurs nucléaires supplémentaires », affirme Que Choisir.
3)-Une filière du chauffage incapable de faire face à une explosion de la demande
ELM Leblanc, Frisquet, Chaffoteaux… si un grand nombre d’industriels fabricants de chaudières à gaz sont français ou installés en France, les pompes à chaleur viennent avant tout de Chine. « Enlever un système intégré de gaz pour y poser une pompe à chaleur souvent fabriquée en Chine, notamment le compresseur, je ne suis pas sûr que ce soit bénéfique pour la planète », explique Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Et il ajoute : « on peut pas dire qu’en 2026, on supprime la chaudière à gaz et qu’on forme 200.000 chauffagistes à la pompe à chaleur. Ce calendrier n’est pas tenable ». Même en ayant les moyens économiques et financiers pour se développer rapidement et pour embaucher, ce qui est loin d’être assuré, la filière française du chauffage sera totalement incapable de répondre à une demande qui selon le calendrier imposé par le gouvernement passera de moins de 300.000 pompes par an à plus d’un million dans trois ans.
4)-Qui va payer et garantir la qualité des nouvelles installations?
C’est sans doute l’argument le plus fort contre la mesure voulue par le gouvernement et le moins mis en avant. L’installation d’une pompe à chaleur coûte cher et peut dépasser 15.000 euros. Et les professionnels, qui ne peuvent plus faire face à l’augmentation de la demande, en profite pour augmenter leurs tarifs, sans parler des entreprises douteuses qui sévissent en nombre dans le secteur du bâtiment.
Le magazine 60 Millions de consommateurs détaille dans un dossier de dix pages publié il y a trois mois et titré «Pompes à chaleur : vous risquez d’avoir froid», les déboires de consommateurs ayant fait installer une pompe à chaleur à leur domicile. «Certains constatent que leur consommation électrique augmente et que les économies annoncées ne sont pas au rendez-vous… D’autres encore ont froid lors de leur premier ou deuxième hiver avec leur pompe à chaleur». Sans parler de ceux qui ne parviennent pas à percevoir les aides annoncées et qui «se retrouvent à payer leur installation bien plus cher que prévu». Pour en avoir le cœur net, 60 Millions de consommateurs a fait un test auprès de six installateurs de pompes à chaleur pour réaliser un même chantier. Résultat, «les propositions reçues n’étaient pas satisfaisantes. Un seul installateur a réalisé un travail sérieux…».
Interdire les chaudières à gaz : une fausse bonne idée ?
Le gouvernement pourrait interdire les nouvelles chaudières à gaz dès 2026 pour réduire les émissions de CO2. Cette mesure ne fait pas l’unanimité.
Va-t-on vers une interdiction des chaudières à gaz ? C’est en tout cas l’une des mesures que le gouvernement envisage de prendre pour atteindre la neutralité carbone en 2030. Les chaudières à gaz sont le deuxième mode de chauffage le plus polluant, après les chaudières au fioul. Mais plus de douze millions de ménages en utilisent encore une aujourd’hui pour se chauffer. La Première ministre, Élisabeth Borne, a déclaré envisager d’en interdire la vente à compter de 2026. Autrement dit, toute chaudière à gaz qui tomberait en panne devrait être remplacée par un autre mode de chauffage : soit un raccordement à un réseau de chaleur urbain, soit une pompe à chaleur aérothermique ou géothermique. Les pompes à chaleur hybrides (mixant gaz et électricité) resteraient autorisées. Une concertation en ligne est ouverte au public jusqu’au 28 juillet sur cette mesure et toutes les autres visant à la décarbonation des bâtiments. Interdire un équipement qui émet des gaz à effet de serre semble aller dans le bon sens. Pourtant, cette annonce suscite des critiques, y compris chez les fervents partisans de la décarbonation. Un collectif de vingt-cinq organisations a adressé au gouvernement une lettre dans laquelle il met en garde contre « 8 à 9 millions de pompes à chaleur supplémentaires prévues d’ici 2030 sans garantie de gestes d’isolation, et sans analyse des conséquences sur le réseau électrique, avec un risque de fraude excessif ». Voici les quatre principales critiques : 1. Une meilleure efficacité énergétique, mais sous conditions Installer une pompe à chaleur (PAC) ne garantit pas toujours une meilleure efficacité énergétique. C’est la conclusion d’une étude publiée en janvier 2023 par Cler-Réseau pour la transition énergétique et l’association négaWatt. « Dans les bâtiments classés F ou G — souvent anciens — l’installation de PAC ordinaires en remplacement de chaudières sans action de rénovation énergétique associée n’est pas appropriée », détaille l’étude. En cas de grands froids, une pompe à chaleur ne pourra pas fournir assez de puissance pour chauffer le logement. « Il en résultera une insuffisance de la température intérieure ne dépassant pas 14 °C par grand froid et donc un important inconfort thermique », alertent les deux organisations. « Bien sûr, il est important de décarboner le chauffage. On ne disqualifie pas les pompes à chaleur qui font partie des solutions à développer, mais on dit qu’il ne faut pas commencer par là, nous explique Danyel Dubreuil, coordinateur efficacité énergétique à Cler-Réseau. Il faut d’abord se centrer sur la baisse des consommations, et donc sur une rénovation performante des logements. » Selon lui, interdire ces chaudières à gaz en 2026 serait très risqué. Si les ménages changent leur équipement de chauffage pour une pompe à chaleur et qu’ils sont déçus du résultat, qu’ils continuent à avoir des factures très élevées, la mesure sera contre-productive. « Elle sera considérée comme une mesure hors-sol, d’écologie punitive », prévient Danyel Dubreuil. 2. Les pompes à chaleur vont entraîner une hausse de la demande électrique Moins de gaz, mais plus d’électricité. L’installation massive de nouvelles pompes à chaleur — 8 à 9 millions d’appareils sont prévus d’ici 2030 — va mathématiquement entraîner une hausse de la consommation électrique. Selon le Réseau de transport d’électricité (RTE), cette hausse devrait être compensée par la baisse de consommation liée à la rénovation thermique des logements et à la modernisation des installations de chauffage. Tout dépendra donc de l’avancée des rénovations des passoires thermiques. Le problème se posera surtout au moment des pics de consommation, dites aussi « pointes électriques ». Dans ces moments de tension, il faudra probablement avoir recours aux centrales à gaz ou au charbon pour pouvoir répondre à la demande électrique. Tout au moins tant que les énergies décarbonées ne seront pas suffisantes pour absorber la demande. « GRDF a calculé que [le changement de 12 millions de chaudières à gaz] augmentera fortement la pointe électrique en hiver et nécessitera 10 gigawatts de plus en 2035, soit l’équivalent de dix réacteurs nucléaires supplémentaires », détaille Que Choisir dans un article très critique. 8 à 9 millions de nouvelles pompes à chaleur sont prévus d’ici 2030. Thomas Veyrenc, le directeur exécutif en charge de la stratégie et de la prospective chez RTE, le reconnaissait le 7 juin lors d’une conférence de presse : « Il y a un point de vigilance sur la pointe. C’est une question qui concerne le chauffage, mais aussi les mobilités lourdes, les mobilités légères... Est-ce qu’on est capable de mettre en place une capacité de production et de la mettre en place au bon moment ? » Des analyses sont en cours pour répondre à cette question. RTE en publiera les résultats en septembre. 3. Des pompes à chaleur surtout fabriquées en Chine ELM Leblanc, Frisquet, Chaffoteaux… Alors qu’un grand nombre de marques de chaudières à gaz sont françaises — ou européennes —, les professionnels du secteur pointent du doigt l’origine asiatique des pompes à chaleur. « Enlever un système intégré de gaz pour y poser une pompe à chaleur souvent fabriquée en Chine, notamment le compresseur, je ne suis pas sûr que ce soit bénéfique pour la planète », a justifié Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), auprès de France Info. Si certaines pompes, notamment des géothermiques, sont bien fabriquées en France, elles ne représentent qu’une petite part du marché. Pour Danyel Dubreuil, de Cler-Réseau, « aujourd’hui, la filière française n’est pas en capacité de fournir autant de pompes à chaleur ». Si on suit le calendrier fixé par le gouvernement, il faudrait en effet remplacer 1 million de chaudières à énergies fossiles par an contre seulement 200 à 300 000 actuellement. « Il faut monter en puissance la capacité industrielle de la France sur ce secteur, notamment pour assurer une qualité des équipements grâce à une meilleure surveillance des normes techniques et sociales. » Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. 4. Des appareils très chers et un marketing agressif L’installation d’une pompe à chaleur est onéreuse, avancent ses détracteurs. Les prix peuvent dépasser les 15 000 euros quand une chaudière à gaz de qualité en coûte 10 000 de moins. Pour Danyel Dubreuil, les prix actuels des pompes à chaleur sont artificiels : « La communication autour de ces chauffages et les aides publiques à l’achat proposées créent un appel phénoménal. » Autrement dit, les professionnels profitent de la situation pour augmenter leurs tarifs. Cler-Réseau plaide pour la mise en place d’une « mercuriale des prix », qui recenserait et fournirait publiquement le prix de tous les appareils, afin de donner au consommateur une meilleure image de la réalité tarifaire. Outre ces prix exorbitants, les ménages sont parfois confrontés à des démarchages intenses. Pour 60 Millions de consommateurs, le boulevard ouvert par les aides financières a attiré des sociétés aux pratiques douteuses, voire illégales. « De nombreux courriers reçus à 60 Millions racontent la même histoire : une personne est démarchée pour l’installation d’une pompe à chaleur. Le vendeur annonce un prix de plus de 20 000 euros, mais assure que la personne n’aura presque rien à payer grâce aux aides financières. Problème : la personne ne voit jamais la couleur de ces aides, ou n’en perçoit qu’une toute petite partie et se retrouve avec un lourd crédit à rembourser », détaillait le magazine en janvier 2022. Des déboires confirmés par une enquête client-mystère publiée en avril dernier. Les ventes des chaudières au gaz s’effondrent déjà Selon Uniclima, le syndicat des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques, les ventes de chaudières à gaz et à fioul ont diminué de 29 % tandis que celles des pompes à chaleur air/eau ont augmenté de 30 % au cours de l’année 2022. Et pour cause, plusieurs dispositions incitent déjà les ménages à se tourner vers les pompes à chaleur. Tout d’abord, l’installation de nouvelles chaudières au fioul est interdite depuis le 1er juillet 2022. Ensuite, toute nouvelle maison construite depuis le 1er janvier 2022 ne peut plus être équipée d’une chaudière au gaz. Et ce sera au tour des logements collectifs neufs en 2025. Enfin, l’aide à l’achat qui existait est supprimée depuis le 1er janvier 2023. Pour aller plus loin, le gouvernement envisage dès 2024 de remplacer le taux réduit de TVA à 5,5 % par un taux à 20 % pour la pose et l’installation des chaudières à gaz.
Pourquoi la découverte en Lorraine d’un gisement d’hydrogène naturel peut tout changer
Des quantités importantes d’hydrogène naturel, hydrogène blanc, ont été découvertes par hasard dans le sous-sol lorrain. L’hydrogène blanc a pour particularité d’être une source d’énergie naturelle et décarbonée contrairement aux autres catégories d’hydrogène (gris, noir, bleu, vert, rose…) qui sont-elles fabriquées. Elles le sont à partir de carburants fossiles ou d’électricité bas carbone. Cette découverte fait naître beaucoup d’espoirs et pourrait permettre d’accélérer encore la naissance d’une filière d’hydrogène décarboné en France. Mais l’exploitation à grande profondeur (plus de 2 000 mètres) et à une échelle industrielle de l’hydrogène blanc présente de nombreuses difficultés qu’il faudra surmonter. C’est une technologie qui est loin d’être développée et encore moins maîtrisée.
La Française de l’énergie (FDE) a annoncé il y a quelques jours la découverte d’importantes réserves d’hydrogène naturel dans le bassin minier lorrain autour du puits de Folschviller (Moselle). Les premières estimations font état de 46 milliards de tonnes. C’est d’autant plus important que l’hydrogène utilisé aujourd’hui, notamment dans l’industrie, est fabriqué presque exclusivement par vaporeformage, c’est-à-dire avec du gaz naturel ou du charbon ce qui émet beaucoup de CO2.
L’hydrogène blanc a une particularité, c’est une source d’énergie naturelle décarbonée, contrairement à l’hydrogène gris, noir, vert, bleu, rose… qui est un vecteur d’énergie fabriqué avec des énergies fossiles ou de l’électricité décarbonée via des électrolyseurs. L’hydrogène quand il n’est pas naturel est ainsi comparable à l’électricité.
Les couleurs de l’hydrogène
Il existe ainsi toutes sortes d’hydrogène que l’on distingue selon la façon dont ils sont produits. Il y a les hydrogènes fortement carbonés, noir ou marron, car fabriqués avec du charbon et de la lignite et gris, de loin le plus abondant aujourd’hui, avec du gaz naturel par vaporeformage. Il y a aussi l’hydrogène bleu, bas carbone, fabriqué toujours avec du gaz naturel mais dont les émissions de CO2 sont capturées et stockées. Dans le même registre, il y a l’hydrogène turquoise, qui reste pour l’instant cantonné aux laboratoires, et consiste par pyrolyse à convertir du gaz naturel en hydrogène et en carbone solide. Il y a l’hydrogène vert, vanté par toutes les politiques publiques, qui consiste à produire la molécule par électrolyse de l’eau (H2O) en utilisant de l’électricité décarbonée issue des renouvelables.
Il y a une autre couleur de l’hydrogène, l’hydrogène rose (parfois aussi appelé hydrogène jaune), décarboné et produit toujours par électrolyse avec de l’électricité sortant cette fois des réacteurs nucléaires. Et dans une centrale nucléaire, de l’hydrogène peut aussi être fabriqué à partir de la vapeur d’eau.
L’hydrogène blanc est d’une toute autre nature. Et contrairement au pétrole et au gaz naturel issus de la décomposition de matières organiques accumulées entre 20 et 350 millions d’années et qui ne se renouvellent pas, l’hydrogène blanc serait produit de façon continue par la terre. La plupart du temps, quand il n’est pas piégé par la croute terrestre, il s’échappe dans l’atmosphère grâce à sa légèreté et à la faible taille de sa molécule. Sa très faible masse ne permet pas à la gravité de le retenir dans l’atmosphère. Il poursuit donc sa course dans l’espace. On trouve la trace de ce passage fugace dans la composition de l’atmosphère où il ne représente que 0,55 partie par million (ppm) en volume de l’ensemble des gaz qui la compose (78 % d’azote, 21 % d’oxygène, 0,1 à 4 % d’eau).
Le fruit du hasard
La découverte du gisement lorrain d’hydrogène blanc a le potentiel pour accélérer fortement le développement de cette source ou vecteur d’énergie en France en donnant accès à des quantités importantes d’hydrogène décarboné sans avoir à la produire avec de grandes quantités d’électricité bas carbone. Elle est aussi un coup de chance. Elle est liée à un programme de forage lancé dans le cadre de projet de recherche baptisé Regalor (REssources GAzières de LORraines). Il a commencé il y a quatre ans et est mené par des scientifiques de l’Université de Lorraine et du CNRS avec l’accompagnement de la FDE. Il devait être consacré à évaluer la présence de méthane dans le sous-sol lorrain, le fameux « grisou » issu de la dégradation des couches de charbon qui provoque des explosions mortelles dans les mines.
Afin de quantifier la présence de méthane, les chercheurs ont conçu une sonde capable de descendre à plus de 1.000 mètres de profondeur dans un puits de six centimètres de diamètre. Dès la fin d’année 2022, ils ont découvert de petites quantités d’hydrogène à 600 mètres de profondeur et ont constaté qu’elles augmentaient à mesure que la sonde pénétrait plus profondément dans le sous-sol. A 600 mètres, la concentration est de 1% d’hydrogène, à 800 mètres elle est de 6% et à 1 .100 mètres elle est supérieure à 15%.
Une teneur en hydrogène de 98% à 3 000 mètres
« Plus on va en profondeur, plus l’oxygène diminue jusqu’à disparaître », indiquait sur France 3 Jacques Pironon le directeur du laboratoire GéoRessources de l’Université de Lorraine. « Plus l’oxygène diminue, plus l’autre espèce gazeuse, à savoir l’hydrogène est présente ». Jacques Pinoron parle même d’« une véritable usine à hydrogène sous nos pieds ». La teneur en hydrogène pourrait ainsi atteindre 98% à 3.000 mètres de profondeur.
Maintenant, il s’agit encore d’hypothèses qui vont devoir être confirmées par d’autres forages plus profonds. La FDE a déposé en mars cette année une demande d’octroi de permis exclusif de recherches de mines pour l’exploration de l’hydrogène naturel (H2). Cette demande couvre une superficie de 2.254 km², sur les départements de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle. L’entreprise mosellane prévoit aussi d’effectuer de nouvelles mesures de concentration d’hydrogène dans trois autres puits.
Il faudra plusieurs années avant d’avoir une évaluation plus précise du potentiel du gisement et des technologies nécessaires à son exploitation éventuelle à une échelle industrielle. Il n’existe pas aujourd’hui de technologies permettant de récupérer de l’hydrogène à des profondeurs supérieures à 1.000 mètres.
Brèves
BREVES 18/6/23
L’artificialisation des projets EnR en débat à l’Assemblée
Par
13 juin 2023 Extrait GEEN UNIVERS
(c) – Assemblée nationale
Le débat sur l’artificialisation des sols arrive à l’Assemblée nationale et il concerne en particulier les installations de production d’énergie, notamment renouvelable. La proposition de loi “visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires” avait été déposée en mars par les sénateurs Les Républicains. Elle va être examinée par les députés à partir du 14 juillet
Prix négatifs : les marchés s’adaptent, les modèles évoluent
Par
Jacopo Landi EXTRAIT Green Univers
13 juin 2023
Source : NASA/Unsplash
Suite aux épisodes répétés de prix négatifs sur les marchés de l’électricité, les opérateurs européens* se sont mis d’accord pour baisser le plancher sous lequel une deuxième enchère pour le marché day-ahead est lancée. Il sera porté à partir du 15 juin à -500 €/MWh, le prix minimal auquel les transactions sont acceptées, contre -150 €/MWh actuels.
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